L’Observatoire régional de santé (ORS) Île-de-France a récemment publié les résultats d’une étude portant sur « l’état fonctionnel des personnes âgées vivant à domicile en Île-de-France » et décrivant les différents stades de la perte d’autonomie chez les aînés franciliens. Cette étude vise à mieux comprendre les différents facteurs influant sur l’entrée en dépendance, afin d’en améliorer la prévention et la prise en charge.
L’Île-de-France est aujourd’hui la région qui compte le plus grand nombre de personnes âgées, à savoir quelque 2 millions d’individus âgés de 60 ans et plus (en 2008), un chiffre qui pourrait même atteindre 2,6 millions en 2020, selon l’Insee. Le nombre de Franciliens en perte d’autonomie devrait augmenter parallèlement, posant la question de leur prise en charge. Dans ce contexte, les autorités sanitaires d’Île-de-France souhaitent poursuivre leur politique de maintien à domicile des personnes âgées, solution actuellement bien développée dans la région.
À cet effet, il est important d’évaluer les besoins des personnes âgées franciliennes et de mieux comprendre les facteurs induisant la perte d’autonomie, ce qui permettra « d’anticiper les besoins futurs de prise en charge de la dépendance, mais aussi de limiter la probable progression du nombre de personnes âgées dépendantes ». C’est ce que s’est proposé de faire l’Observatoire régional de santé (ORS) de la région dans une étude sur les « prévalences et inégalités de la perte d’autonomie en Île-de-France ». Publiée début décembre, l’étude intitulée « État fonctionnel des personnes âgées vivant à domicile en Île-de-France » décrit les différents stades du processus de perte d’autonomie et analyse les facteurs ayant un impact sur le passage d’un stade à l’autre.
Dans cette étude, l’ORS Île-de-France adopte la définition de l’entrée en dépendance proposée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui décrit la perte d’autonomie comme « un processus au cours duquel les maladies altèrent les fonctions qui à leur tour engendrent des restrictions dans les activités. » Ainsi, l’arthrose entraîne des difficultés à marcher pouvant par la suite provoquer une restriction d’activité, par exemple la sortie du domicile sans accompagnement.
L’étude présente en premier lieu la prévalence de chacun des trois stades de la perte d’autonomie chez les personnes âgées franciliennes de 60 ans et plus : maladies chroniques, limitations fonctionnelles et restrictions d’activité.
Ainsi, les Franciliens de 60 ans et plus résidant à domicile sont 62,4 % à affirmer souffrir de maladie chronique. Les maladies les plus souvent mentionnées, à savoir l’arthrose (25,7 %) et les maladies cardio-vasculaires (35,7 %), s’avèrent par ailleurs être les principales causes d’incapacité fonctionnelle.
Plus de 38 % des personnes considérées dans le cadre de l’étude déclarent connaître des limitations fonctionnelles sévères. Les limitations fonctionnelles font référence à des altérations des fonctions motrices (mouvements des membres inférieurs, portage d’objets lourds… – 28,3 % des Franciliens âgés), sensorielles (audition, vue – 11,3 %), intellectuelles, psychiques et cognitives (capacité d’apprentissage, mémoire … – 12,1 %). Elles peuvent éventuellement être compensées par des aides techniques (cannes, appareil auditif…), un aménagement du logement ou une aide humaine ponctuelle.
Enfin, près de 20 % des personnes âgées d’Île-de-France déclarent avoir des difficultés importantes à réaliser seules des activités de la vie quotidienne. Les restrictions d’activités les plus fréquemment citées sont les tâches occasionnelles (bricolage, lavage des vitres – 16,5 %), les courses (14,5 %), les tâches ménagères courantes (vaisselle, repassage – 12 %) et les tâches administratives (11,7 %). Les soins personnels (toilettes, habillage, transferts…) posent d’importantes difficultés à 6,3 % des Franciliens âgés. Pour faire face aux gènes les plus sévères, les personnes âgées doivent avoir recours à des aides humaines ponctuelles ou quotidiennes, en fonction du degré de dépendance.
La prévalence des différents stades de la perte d’autonomie (maladies, limitations fonctionnelles et restrictions d’activité) augmente avec l’âge. Par ailleurs, le vieillissement entraîne un cumul des altérations fonctionnelles et une combinaison des différents problèmes entre eux. Ainsi, les Franciliens les plus âgés combinent plus fréquemment une limitation motrice avec une limitation psychique, intellectuelle ou cognitive que leurs cadets. Or, l’association de plusieurs limitations sévères augmente les risques de rencontrer des difficultés à effectuer seul des activités de la vie quotidienne, ainsi 8 Franciliens sur 10 combinant les trois sortes de limitations fonctionnelles sévères ont perdu leur autonomie.
D’après l’étude de l’ORS, « les femmes cumulent les inégalités au cours du processus de perte d’autonomie ». En effet, si les Franciliennes âgées de 60 ans et plus souffrent de maladies chroniques dans la même proportion que les hommes, elles sont toutefois davantage exposées aux situations fonctionnelles risquant d’entraîner une incapacité. Ainsi, les femmes de 60 à 74 ans font état de trois fois plus de limitations motrices sévères, quatre fois plus de situations fonctionnelles complexes (combinaison des trois types d’altérations fonctionnelles) et trois fois plus de restrictions d’activité que les hommes du même âge. Après 75 ans, ces inégalités de sexe disparaissent. Par ailleurs, même à âge et état fonctionnel équivalents, les femmes ont entre deux et trois fois plus de risques que les hommes d’éprouver une gêne à réaliser une activité de la vie quotidienne.
Cette différence entre les hommes et les femmes pourrait s’expliquer par le fait que ces dernières sont davantage exposées à des maladies chroniques moins mortelles mais plus invalidantes, en raison d’une sédentarité et d’une obésité plus importantes. Par ailleurs les femmes ont davantage recours à des aides humaines que les hommes, qui préfèrent les aides techniques, ce qui pourrait amener celles-là à perdre plus rapidement leur autonomie.
Une autre inégalité mise en évidence par l’étude est d’ordre socioprofessionnel. En Île-de-France comme dans les autres régions, les hommes ouvriers et employés ont plus de risques de se trouver dans des situations fonctionnelles induisant une perte d’autonomie que les cadres et professions intermédiaires. Par ailleurs, à âge et situation fonctionnelle équivalente, les ouvriers et employés ont trois fois plus de risques d’être dépendants que les cadres et professions intermédiaires. Chez les femmes, il n’y a pas d’inégalités sociales face à la perte d’autonomie, en Île-de-France, en revanche ces différences existent dans les autres régions.
Les résultats de l’étude soulignent par ailleurs les spécificités franciliennes face à la perte d’autonomie. Les Franciliens âgés ont autant de maladies chroniques que les habitants des autres régions, mais déclarent moins de situations fonctionnelles dégradées jusqu’à 75 ans. Cette différence a des causes sociales : la population d’Île-de-France compte davantage de cadres et moins d’ouvriers et d’agriculteurs, plus exposés aux altérations fonctionnelles. En revanche, face à la dépendance à proprement parler (c’est-à-dire les restrictions d’activité), Franciliens et non Franciliens sont égaux.
Il ressort de cette étude que le risque de perte d’autonomie est lié non seulement à l’état fonctionnel de l’individu, mais également à des facteurs sociodémographiques (sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle actuelle ou passée). Ainsi, « les femmes et les ouvriers cumulent les inégalités au cours du processus de perte d’autonomie », note l’ORS. En effet, ils déclarent davantage de situations fonctionnelles risquant d’entraîner une incapacité et ont plus de risques de rencontrer des difficultés importantes à réaliser des activités de la vie quotidienne, à âge et état fonctionnels équivalents.
Si cette étude comporte certaines limites, étant donné qu’elle se fonde sur des données déclaratives et sur la situation de la population vivant à domicile à l’exclusion des personnes âgées résidant en établissements, elle permet cependant à l’ORS de proposer des pistes de travail pour réduire la dépendance et les inégalités associées.
L’ORS recommande ainsi en premier lieu de prévenir les maladies invalidantes, en améliorant le suivi et la prise en charge de la population d’Île-de-France, mais aussi de poursuivre « les efforts menés en matière de réduction d’inégalités sociales de santé ».
Il faut ainsi continuer « les efforts de prévention sur le tabac, l’alcool, l’alimentation et la sédentarité », dont on sait aujourd’hui qu’ils constituent des « facteurs de risque inégalement répartis dans les groupes sociaux et fortement associés l’altération des fonctions motrices », précise l’étude.
De même, il convient de « continuer à investir le champ des inégalités de sexe » face au processus de perte d’autonomie, afin de « mieux comprendre le désavantage des femmes ».
Enfin, l’ORS considère que « favoriser chez les personnes âgées l’usage des aides techniques et l’aménagement du logement pourrait leur permettre de maintenir leur niveau d’autonomie et rester à domicile ».